Papa, tu vas mourir !

Aumônier au CHU d’Angers, on me demande d’aller visiter un homme. J’y vais le lendemain de l’appel, c’était un dimanche après-midi. Arrivé dans la chambre, il y a là un homme âgé de 40 ans qui râle de souffrance. Autour de lui, sa fille adolescente de 17 ans, son compagnon et son ex-femme. Je me présente. « Bonjour, je suis le pasteur Bernard Delépine, vous avez demandé ma visite ». Sa fille est soulagée de me voir : « merci d’être venu »

La suite est surréaliste, il y a peu de phrases mais ça dure ‘une éternité’. L’homme ne sait plus comment se mettre dans son lit, il parle lentement, avec difficulté, poussant des râles de souffrances.

Un dialogue vraiment hors du commun
La jeune fille se penche vers son père :
– Papa, nous t’avons dit que nous avions demandé à un monsieur de passer te voir, il est arrivé, c’est lui.
Ha bon, dit son père, pourquoi il est là ?
– Parce que tu vas mourir papa
Ha bon je vais mourir, mais pourquoi ?
– Parce que tu as un cancer, les médecins ne peuvent pas t’opérer !
Ha bon pourquoi ?
– Parce que c’est trop tard
Elle sanglote tant que c’est son jeune compagnon qui continue
– Oui Pierre (nom d’emprunt), ce monsieur est pasteur, il va t’expliquer comment faire
Mais comment faire quoi ? dit-il toujours au milieu de ses râles
– Comment partir
Mais partir où, moi je veux rentrer à la maison
– Non Pierre, tu ne peux pas renter à la maison tu vas partir là-haut
Là-haut, mais où là-haut ?
-Tu vas monter là-haut, car tu vas mourir et le monsieur va te dire comment faire pour y aller

Après beaucoup d’embrassades et de larmes des deux jeunes, son ex-femme dit « désolé, nous devons partir prendre un train ».

Tout le monde s’en va, je reste seul avec Pierre
Bien que ce que je viens de vivre est tellement surréaliste, je n’en suis pas déstabilisé.
Etant seuls, nous entamons la conversation…
– Alors je vais mourir ?
Il semble que oui
– Vous n’en savez pas plus alors ?
Non parce que je ne suis pas allé voir les infirmières pour demander où vous en étiez, mais vous savez, si votre fille vous dit cela, c’est que le personnel médical lui aura dit
– Je suis si mal que ça ?
Oh oui, vous n’êtes pas au mieux de votre forme, disons même que vous êtes au plus bas. Puisque je suis là, avez-vous avez la foi en Dieu ?
Il me raconte avoir voulu être prêtre lorsque, petit, il était servant de messe. « Il y a bien longtemps lui dis-je, depuis votre vie n’a pas été facile ». J’avais bien vu par son teint jaunâtre qu’il était atteint d’une cirrhose du foie

Je ne mérite pas
Je lui parle de l’amour de Jésus pour lui, de son pardon
– « Je ne le mérite pas »
Je le sais Pierre, personne ne mérite l’amour ou le pardon de Jésus, même moi qui suis pasteur, ce n’est pas une question de mérite.
Je lui parle alors d’un des deux brigands crucifiés en même temps que Jésus. Il en avait un vague souvenir. Je continue « Pierre, Jésus a dit à l’un des deux qu’il le prendrait avec lui au paradis ce jour même, du fait de la confiance qu’il a placée en Lui. Cet homme n’a eu ni le temps de se confesser, ni de se racheter d’aucune manière et pourtant, Jésus l’a pris au paradis avec Lui »

Lui demandant s’il accepte que je prie pour lui, comme il me le permet je demande à Jésus de pardonner tous ses péchés, de lui venir en aide durant ces jours difficiles devant lui, de garder sa fille,…
Durant ce moment de prière spontanée, Pierre comprend, acquiesce, des larmes coulent sur son visage, sans un mot il me serre la main comme pour dire qu’il accepte cette prière et qu’il m’en remercie.

Je le quitte pour revenir le lendemain. Il n’y a pas vraiment de conversation, je lui demande juste s’il à soif, s’il veut que je l’aide à s’assoir un peu mieux pour un meilleur confort, je tape sur le coussin et lui remet derrière, lui donne à boire… Je ne peux rien faire de plus. Il souffre et je sens qu’il souhaite rester seul, je m’en vais donc discrètement.
J’y retourne le mardi mais il est décédé quelques heures après mon passage de la veille.

La suite
Je téléphone à sa fille, elle me demande si je veux bien les attendre, elle et son compagnon, car ils voudraient le voir dans la chambre funèbre mais ils ont peur, ne savent ni comment ni quoi faire. Je les accueille peu après, les emmène.
Devant le corps de son père, elle me demande si je veux prier pour lui. Je lui explique ce que nous avions vécu le dimanche après-midi lorsqu’ils étaient partis, Lui dis pourquoi je ne prierai plus pour lui mais que je peux prier pour eux s’ils l’acceptent. Ne nous souciant pas de l’endroit où nous sommes, c’est ce que faisons.

Elle me demande si je peux m’occuper de la cérémonie de sépulture, ce que j’accepte.
Comme elle me dit leurs difficultés financières, je les rassure « je ne demande jamais rien ».
Ils ont eu du mal à prendre la décision du lieu de la sépulture, elle se fait donc directement au cimetière en présence d’une quinzaine de personnes à qui je raconte aussi comment Pierre a accepté la prière, le pardon et l’amour de Jésus.

la vie s'en va comme le jour

la vie s’en va… comme le jour