Accueillir dans notre famille un détenu atteint du SIDA afin qu’il meure chez nous plutôt qu’en prison !

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Par le Pasteur Bernard Delépine, aumônier en milieu carcéral durant 24 ans
(1) Le personnage

J’ai rencontré Gérard d’une manière peu banale. Il y avait un petit mot dans la boite à lettres de l’aumônerie protestante de la Maison d’Arrêt d’Angers où j’ai exercé le ministère d’aumônier protestant.
Sur ce petit mot, Gérard demandait à rencontrer un rabbin ! Comme je n’en connaissais pas à l’époque, j’ai mis ce mot dans la boite à lettres de l’aumônerie catholique, pensant qu’elle en connaissait un et qu’elle ferait le relai. Mais le mot est revenu dans ma boite !

Je ne pouvais faire attendre cette personne plus longtemps, je suis allé au centre névralgique de la prison qui s’appelle « la rotonde » afin de visiter cette personne.
Ho mais tu ne peux pas, cet homme est au mitard (la prison dans la prison), il en a pris pour 45 jours, le max, pour avoir été violent envers nos collègues d’une autre prison, il est très dangereux ce gars-là.
Je rétorquais qu’en tant qu’aumônier, j’avais le droit de visiter tout le monde, y compris au mitard. Il a fallu que je menace d’aller demander au directeur en personne pour qu’enfin le surveillant accepte de me conduire jusqu’à sa cellule.

Au mitard
La porte en fer s’ouvre et, derrière une grille fermant le passage, j’ai vu un homme assis au regard pas très engageant « vous avez demandé un rabbin, désolé il n’y en a pas. Ne voulez-vous pas un pasteur en échange ? » Il se mit à sourire en acceptant la proposition et un « on peut toujours essayer ».
Le surveillant anxieux dit Je ferme la grille mais je laisse la porte entrouverte, s’il y a le moindre problème, tu cries ! Et moi de lui répondre « je n’ai pas peur de ce gars, tu peux fermer »
Plusieurs fois durant notre heure d’échange, le surveillant viendra vérifier si tout va bien.

Je m’assis à cote de lui sur son lit, nous commençons à discuter, d’abord pour les raisons qui l’amènent à vouloir rencontrer un rabbin. Il n’était pas juif mais voulait juste comprendre pourquoi le pays d’Israël, si petit, faisait autant parler de lui !!
Après explications, nous parlons de lui, de ce qui l’avait amené à la prison d’Angers, ce qu’il avait fait pour être au mitard pour si longtemps…

Je suis atteint du SIDA, j’ai été condamné la semaine dernière à 10 ans de réclusion criminelle. Je leur ai bien dit qu’ils ne me condamnaient pas à 10 ans mais à mort car ils savaient pertinemment que je ne pouvais aller jusque là, même avec les remises de peines.
En rentrant à la prison, j’ai été accueilli par un chef qui me demandait pour combien d’années j’en avais pris, puis souriant il m’a dit « toi tu ne sortiras jamais vivant d’ici ».
J’ai pété les plombs, toute la tension vécue aux assises est remontée… je lui ai mis un coup de poing et je me retrouve ici.
A vrai dire, ce qu’il pensait n’être un coup de poing fut en réalité un passage à tabac qui valut au chef plusieurs semaines d’hospitalisation puis d’arrêts. Il en a giflé un autre puis étant à l’étage, il a envoyé un troisième au-dessus de la rambarde qui, heureusement, a atterri dans le filet de protection !
Il avait tellement « pété les plombs » qu’il n’avait plus la notion de ses gestes.
Certes, je ne suis pas très grand mais Gérard lui, c’était vraiment une « armoire à glace ».
Il sera condamné à 2 ans de plus pour ce fait. (Ce que je comprends car les surveillants n’ont pas à subir)

Son histoire est tristement banale
Je résume ici ce qu’il a pu m’en dire, je ne suis pas allé vérifier mais nous étions assez proches pour qu’il me partage son parcours avec sa sensibilité, sa manière à lui d’avoir vécu les choses
Il fut le seul enfant de la famille à avoir été placé en institution, probablement dans un temps difficile que celle-ci traversait. Par discrétion, je n’en dirais pas plus.
Il prit comme une injustice, un rejet, un abandon… le fait qu’aucun de ses frères ou sœurs ne fut aussi placé. Pourquoi moi ??
Il commit des larcins, dont l’un le conduisit en prison alors qu’il n’avait que quatorze ans. Il avait écopé de 6 mois de prison ferme pour avoir volé… 6 bouteilles de champagne !
Le juge aurait dit « un mois par bouteille » ! Malicieusement Gérard disait « heureusement que je n’avais pas volé une boite de petits pois. Ils auraient eu la connerie de l’ouvrir et de me condamner à 1 mois ferme pour chaque petit pois !!! »

Toujours est-il qu’en prison très jeune, ceux qui l’ont « protégé » sont aussi ceux qui lui ont appris le métier de « braqueur de banque ».
Ce fut encore pour ce délit qu’il avait été incarcéré lorsque nous nous sommes rencontrés.

(à suivre)