Dans la prison «cocotte-minute» pourrissoir le foot ne suffit pas à approcher Dieu (1)

Indigne : à la Maison d’arrêt d’Angers, des détenus vivent à trois dans 9 m2. Alors, quand le pasteur déboule avec une équipe déjeunes « footeux » chrétiens, quelques tee-shirts en cadeau et un pot au bout du jeu, c’est toujours bon à prendre pour se vider la tête, à défaut de penser au bon Dieu.
« Aucun des détenus qui jouent, ce matin, ne vient au culte du samedi. Mais ces matchs de foot ne sont pas destinés à les y faire venir ». Bernard Delépine, pasteur de l’Eglise Baptiste et aumônier de la Maison d’arrêt d’Angers, n’est pas un cul bénit. Au-delà (ou en deçà) de la foi, il ne parle pas de l’ivraie dans le bon grain, mais simplement d’« humanité », d’« ouverture aux autres ».
« Je ne jette jamais la pierre aux détenus. J’essaie seulement de les convaincre de tout faire pour ne pas y revenir ».
Et il porte témoignage. Une fois l’an, avec de jeunes chrétiens adultes, membres de l’association « Sport et Foi » aux maillots barrés d’un Foot pour « Christ » il organise, au pied des hauts murs frisés de barbelés, un match visiteurs-détenus. A défaut de partager la même passion pour Dieu on partage la même pour le foot. Et comme dénominateur commun, on peut tomber d’accord sur les mots de «respect», pas de trucage ni de cinéma, sport propre : déjà un programme. Le «terrain», qui a beau être la plus vaste surface à ciel ouvert de rétablissement, n’est, au fond, qu’une espèce de losange ou d’un vaseux parallélépipède de 18 mètres de large sur 27 mètres de long doté de buts de hand. Et sur le sol (1/3 goudron, 1/3 béton, 1/3 falun), les joueurs apprennent vite à ne plus tacler.
« Ça va péter »
Au programme de ce samedi matin, cinq mini-matchs par équipes de cinq. Les visiteurs, d’abord déboussolés, ont forcément pris une pâtée (6-1) avant de finir la série honorablement (2-1). Mais on aura compris que les scores importaient peu.
Et Dieu dans tout ça ? Probablement qu’il doit faire une sale gueule. « Le foot – trois séances maximum par semaine – est une soupape de sécurité qui permet de déconnecter des tensions » commente, laconique, Patrick Aubert, le moniteur de sports.
Ce qu’il ne dit pas, c’est que la pression de la cocotte-minute qu’est devenue la Maison d’arrêt du Pré-Pigeon atteint son paroxysme. Au bout des galeries-coursives, les langues des surveillants, en sous nombre, se délient, parfois, en douce.
« Autant de détenus que pendant la guerre ! » glisse l’un. « A 400 détenus pour 240 places on se disait que tout allait péter : ce matin nous en sommes à 460 ! » renchérit un autre. « Tous les records sont battus. Et pour la première fois une quinzaine de cellules comptent trois détenus ! – rapporte un troisième. Nul ne parle encore de la grâce présidentielle qui pourrait décongestionner l’établissement, dans quelques jours.
Trois dans 9 m2, WC compris
Trois détenus, donc, dans 9 m2, tinettes comprises. « Alors on rajoute un matelas par terre ». Un détenu sur trois est sous antidépresseurs ; près d’un sur deux est suivi en psychiatrie ; près d’un sur dix peut être qualifié de psychotique. Sept détenus sur dix étaient alcooliques dépendants avant d’être incarcérés.  » Quinze jours de sevrage forcé en cellule et puis la liberté… Croyez-vous vraiment que le problème est réglé ? »
Les surveillants doivent affronter une situation « Inconnue il y a 10 ans » : des détenus * de plus en plus revendicatifs », un renforcement * des clans, des rivalités » et « quand ils refusent de regagner leur cellule, vous pouvez vous brosser… Ça peut durer ».
Dieu a du pain sur la planche.
Dominique Billaud

Récit du dernier guillotiné en public à Angers (4)

4ème épisode de ce guillotiné en public à Angers mis en ligne par le Pasteur Bernard Delépine, qui fut aumônier protestant durant 24 ans à la Maison d’Arrêt d’Angers

Nous poursuivons le récit que fait « Le Petit Courrier » dans ses éditions du 4 mars 1934 des derniers moments de Gueurie, le dernier guillotiné d’Angers. Cette fois, on est bien au lendemain des faits et le Petit Courrier peut raisonnablement en donner une relation exacte.

Nous avons donné succinctement dans notre numéro d’hier, sur l’exécution d’hier, de Pierre Gueurie, les informations qui nous ont été apportées jusqu’à la dernière heure, par notre service de reportage autorisé à pénétrer dans la prison. Les nécessités de notre tirage ne nous ont pas permis d’aller plus loin ; nous relatons donc ci-dessous les faits qui se sont déroulés depuis ce moment.
Disons tout de suite qu’à la surprise générale l’assassin de la petite Simone Sauleau fit preuve d’un remarquable courage, d’un sang-froid sans forfanterie qui impressionna vivement ceux qui en furent témoins.
Le repentir ? Ou la résignation aveugle à la fatalité? Il était totalement impossible de s’en rendre compte tant fut complète l’impassibilité de celui qui allait mourir.

Les curieux. Le service d’ordre
La pluie fine qui n’a cessé de tomber jusqu’à 4 heures du matin empêcha certainement bon nombre d’Angevins d’aller stationner place de la prison. La foule devint plus dense vers 5 heures du matin et fut tout à fait importante vers 6 heures.
Elle était évaluée à 4.000 personnes. Il y avait des gens à toutes les fenêtres et même sur les toits.
Grâce au parfait service d’ordre organisé d’une part par la police sous les ordres de M. le commissaire central et d’autre part par le commandant Mahé et le capitaine Pougnant de la gendarmerie, il n’y eut aucun incident.
Des groupes de personnes furent même autorisés à stationner sur la place.
Chacun veut voir lorsqu’arrive la guillotine. Les femmes sont les plus curieuses.
La sinistre machine fut montée sans bruit sous la surveillance de Deibler, appuyé à l’arrière de son fourgon. Aucune parole n’est prononcée entre les aides.

La cellule N° 9 Le réveil
La guillotine est presque installée lorsqu’arrivent sur la place les personnalités judiciaires.
M. l’avocat général Zollinger demande à M. Deibler s’il est bientôt prêt et, sur sa réponse affirmative, il pénètre dans la prison, suivi de MM. Causse, juge d’instruction ; Pichot de Champfleury, conseiller à la Cour qui fit l’instruction de l’affaire ; Me Pecquereau, défenseur de Gueurie ; Docteur Montier médecin de la prison ; Bouvet, greffier en chef ; Boucher, greffier de la Cour ; Fronteau, greffier de M. le juge d’instruction et Me Perrin, avocat de la partie civile.
Sont également présents : MM. Belliard, secrétaire général de la préfecture ; Vivant, chef de cabinet de M. le préfet ; Guy, attaché au Parquet général et les représentants de la presse.
Les magistrats sont reçus par M. Guibert, gardien chef et par M. le chanoine Uzureau, aumônier de la prison.
Ensemble ils se dirigent vers la galerie Ouest et ils s’arrêtent en face la cellule n° 9. C’est celle de Gueurie. Deux gardiens sont de chaque côté. Le gardien chef en ouvre la porte.
Gueurie dort profondément et ce ne fut que lorsque son avocat lui frappa sur l’épaule qu’il s’éveilla.

Puisqu’il faut y aller…
M. l’avocat général lui annonça alors que son pourvoi et son recours en grâce avaient été rejetés et que le moment était arrivé pour lui d’expier ses crimes. «Ayez du courage» ajouta t-il.
– J’en aurai, répondit Gueurie : puisqu’il faut y aller, j’irai !
Me Pecquereau s’approche alors de Gueurie et l’invite lui aussi à avoir du courage. Gueurie le remercie et l’embrasse, puis il demande ses vêtements civils car il désire s’habiller comme le jour où il comparut devant ses juges.
Gueurie est aidé par ses deux gardiens. Une fois habillé et peigné, il demande à son avocat de lui procurer du papier pour qu’il puisse faire ses adieux à sa femme.
Notre rédacteur lui fournit volontiers cette feuille de papier. Gueurie griffonne alors quelques mots et prie le gardien chef de joindre cet écrit aux lettres, images et photographies qu’il détient et de les adresser à sa femme. Le gardien chef le lui promet.

Depuis sa condamnation à mort, Gueurie a écrit fréquemment à sa femme, mais jamais il n’a fait allusion à ses crimes.
Dans chacune de ses lettres il la priait seulement de bien élever son enfant et de lui donner de ses nouvelles. Mme Gueurie lui répondit quelques fois.
D’autre part, Gueurie, assez loquace, ne parla pas plus à ses gardiens des faits qui lui valurent sa condamnation.
Gueurie déclare qu’il n’a aucune révélation à faire, ce qui permet à M. Causse, juge d’instruction et son greffier M. Fronteau, de se retirer dans la galerie.

(à suivre)